Grèce géométrique

La marine post-mycénienne

La marine de la Grèce géométrique

( 900 - 700 av. J.-C. )

 

Trois types de navires

Si a priori aucune source iconographique ne mérite crédit quant au nombre de rameurs, elles sont les seules sources de renseignement au sujet du type de navires existants à l'époque géométrique.
Galère athénienne de l'école du DipylonUn premier type est une survivance de l'âge du Bronze, dépourvu de lisse de nage : les tolets sont fixés sur la lisse de plat bord. Voir : le cratère de New York, les fibules de Béotie et le vase de Khaniale Tekke.
Le deuxième type est, semble-t-il, purement athénien. les galères possèdent une lisse de nage au dessus du plat bord (la pseudo-dière du British Museum) ou éloigné de celui-ci constituant un véritable apostis (Le groupe du Dipylon avec tolet, sans tolet et les vues de profil.
Le troisième type est la dière, à peu près contemporaine des birèmes phéniciennes, mais techniquement très différentes et ne leur devant donc rien. Son invention fut provoquée par une guerre navale entre états grecs lors de la guerre Lélantine (l'apparition de la dière).

La lisse de nage est un moyen d'économie de poids, répondant à une volonté ou une nécessité d'alléger le navire. Eloigner la lisse de nage permet d'allonger la longueur de la rame et d'améliorer ainsi la propulsion. Le même résultat peut être approché en surélevant le niveau des rameurs au dessus de l'eau. Mais cette dernière solution, si elle augmente l'espace dédié à la cargaison, allourdi le navire.

Sur le premier type de navires on compte 25 à 35 tolets. Mais les peintres (comme de nos jours) ont certainement voulu représenter les plus gros navires possibles. Le même de bâteau avec 10, 15 ou 20 tolets a dû exister. Quant aux galères athéniennes elles ne sont représentées qu'avec un maximum de 20 rameurs (), ce qui devait en faire un navire frèle. Idéal pour la régate, l'opération de piraterie ou le combat, elle devait être impropre aux navigations lointaines qu'exigeaient les colonisations du VIIIe s. auxquelles les Athéniens s'abstinrent d'ailleurs de prendre part.

Pseudo-dière du British MusemLe Catalogue des Vaisseaux, au chant II de l'Illiade, a pour objet principal d'énumérer les chiffres des contingents de navires : les navires de Philoctète avaient un équipage de 50 rameurs et chacun des vaisseaux des "gens de Béotie" était "monté par 120 jeunes gens". Il faut observer que ce Catalogue ne fait pas partie de la version initiale de l'Illiade, mais qu'il est venu s'ajouter à un stade tardif, au plus tard vers 700 av. J.-C. Son origine semble d'ailleurs béotienne(1) : les Béotiens dont la participation à la guerre de Troie n'eut rien de particulièrement glorieux sont placés en tête du Catalogue, avec une flotte importante dont l'énorme effectif est fièrement précisé. Ce n'est certainement pas un hasard non plus si les meilleurs documents (outre ceux d'Athènes) proviennent de Béotie.
Les chiffres qu'énnonce Homère ont été discuté depuis Thucydide. Si les 120 hommes des équipages béotiens ne représentent pas une réalité mycénienne, elle doit être considérée comme possible vers 700 av. J.-C. Cela représente certainement 100 rameurs et 20 hommes composés de l'état major, de marins, de charpentier et de quelques archés. Cela est possible sur des dières de 25 tolets par rang. Les autres navires, tels ceux de philoctète, seraient alors des galères plus petites à un seul rang de rames.
Dans l'Odyssée, les navires à 20 rameurs sont mentionnés à plusieurs reprises, et le navire qui conduit Ulysse de Phéacie à Ithaque est constitué d'un équipage de 52 rameurs (soit probablement 50 rameurs, le commandant et le timonier).

 

La penthécontore

L'Odyssée nous apprend(2) que les être humains (en l'espèce de passagers récalcitrants) et les marchandises étaient placés sous les bancs. Les petites galères athéniennes ne devaient donc pas permettre d'embarquer plus de quelques jours de vivres. Il faut donc chercher ailleurs les navires qui pouvaient assurer la colonisation de la Grande Grèce.
On aurait pu par exemple utiliser des cargos. Mais Hérodote(3) écrit que "les phocéens furent les premiers des Grecs à faire de longs voyages en mer, et ils découvrirent l'Adriatique, la Tyrrhénie, l'Ibérie et Tartessos; ils ne se servaient pas de bâteaux ronds, mais de navires à 50 rames". Le navire qu'utilisèrent les Grecs en général pour leurs longs voyages étaient donc des galères. D'ailleurs Hérodote raconte(4) également comment les Phocéens, fuyant l'envahisseur perse en 544 av. J.-C., embarquèrent sur leurs pentécontores non seulement femmes et enfants, mais également leurs meubles "avec les statues des temples et les autres offrandes, sauf ce qui était bronze, marbre ou peinture; tout le reste fut chargé sur les navires, puis ils s'embarquèrent eux-même" pour une navigation qui devait les conduire en Corse.
Pour augmenter l'espace dédier aux bagages dans ces galère il a bien fallu augmenter l'espace sous les bancs et faire ainsi remonter le rameur bien au dessus de l'eau.

La tradition, recueillie par Pline(5), voulait que la dière fut incentée à Erythrées, distante à vol d'oiseau de 40 km environ de Phocée. Il semble en tout cas assuré que l'Ionie a joué un rôle important dans l'architecture navale grecque.
Un problème lexical peut apporter un éclaircicement à propos de l'invention de la dière : les dières postérieures, propulsées par 100 rames, auraient dû s'appeler "hecatontore". Or on les nomme toujours des "pentecontore". Le terme "hecatontore" n'apparait qu'au IIe s. ap. J.-C. dans un texte de La dière de Thèbes à TorontoPollux(6).
La dière devait donc être une pentecontore de type phocéenne, avec son rang de rameur très élevé au dessus de l'eau. Dans l'espace réservé aux bagages, on n'a dû avoir aucun problème pour loger un second rang sous le premier. On passait ainsi d'une pentécontore-cargo à une pentécontore-dière selon les besoins. On passait également de 50 à 100 rameurs, auxquels il faut toujours ajouter d'autres personnes (commandant, timonier, charpentiers, soldats, etc.). La dière de Thèbes à Toronto est certainement l'exemple du type pentécontore-cargo comportant 78 tolets.
La dière grecque résulte donc de l'insertion d'une rangée de rameurs sous le niveau de rameurs d'origine, et non pas de l'adjonction d'une rangée au dessus de celle-ci.

Leur donnait-on un nom ? Dans les trirèmes, les rameurs du rang supérieur se nomment les zygites (puisqu'il est assis sur le bau - zugon - principal du document); ceux du bas sont les thalamites (puisqu'ils se trouvent dans la chambre -thalamos). Ces noms conviendraient pour la dière.

 

Structure des navires

L'art, tout en silhouettes, des peintres géométriques n'est pas de nature à favoriser l'étude des divers éléments qui le composent. Sur ce point, l'Odyssée nous est d'un précieux secours : de tous les textes de l'Antiquité, c'est le seul qui contienne un passage (Chant V, 244-257) entièrement et spécialement consécré à la construction navale. Ces vers ont fait l'objet d'innombrables commentaires(7). Ils décrivent la manière dont Ulysse a construit son "radeau", en fait un bâteau. Il y est question de planches assemblées par des tenons (gomphoi) et de chevilles (harmoniai). Sur la plupart des épaves découvertes les bordages sont unis entre eux, can sur can, par des tenons chevillés.

L'éperon des navires du Dipylon ressemble aux extrémités effilées des pirogues des îles Ava. Or celles-ci sont de paisibles embarcations de pêche dont l'allongement des extrémités n'a qu'un effet hydrodynamique. L'éperon géométrique athénien paraît comme pratiquement inutilisable en cas de choc contre une coque solidement construite à tenons et mortaises, mais il pouvait être efficace contre une coque dont les bordages étaient assemblés par des ligatures.

C'est bien ce qu'Hérodote confirme de manière implicite lorsqu'il rapporte (I, 166) qu'à la bataille du détroit de Sardaigne, qui opposa vers 540-538 les phocéens aux Cathaginois et Etrusques. La flotte phocéenne victorieuse subit de terribles dommages : 40 navires détruits et 20 survivants dont l'éperon était mutilé. Comme ils gardèrent maîtrise du champs de bataille, les mutilations subies par les éperons grecs résultaient non de coup s de l'ennemi, mais d'estocades victorieuses.

Les grecs ont biens construits des navires assemblés par ligatures en grand nombre. Homère explique (Illiade, chant II, 135) que "le bois de nos vaisseaux (achéens) est pourri et que les bordages (sparta) lâchent. Au vu du contexte, il ne s'agit certainement pas du gréement, ni même de vieux cordages servant de calfatage. pour Aulu Gelle, citant Varron, et Pline, il s'agit bien des cordes qui assemblaient les bordages.
L. Casson a relevé plusieurs textes d'auteurs anciens témoignant de leur connaissance du procédé d'assemblage par ligatures de cordes ou de cuirs(8). On peut citer également Eschyle qui parle, au début du Ve s., dans les Suppliantes, d'un vaisseau linorraphès. La seconde partie du mot découlant d'évidence du verbe rhaptô qui signifie coudre, il ne peur s'agir donc ici que d'un vaisseau assemblé par ligatures, le mot étant compris du public populaire d'Athènes et du Pirée.

Quant aux petits traits horizontaux dessinés à la proue et parfois à la poupe, ils correspondent aux extrémités des lattes qui formaient ou renforçaient les pavois des châteaux de proue et de poupe.

 

Le gréément

Les représentation géométrique sont très décevantes par leur schélatisme. Le mât est toujours unique et placé à peu près au centre du navire. La voile est oblongue, rectangulaire et couverte de croisillons qui donnent à penser qu'elle était faite de laizes assemblées par des bandes minces de cuir plus que de toiles. Comme le bord inférieur de la voile est représenté droit, il est bien possible que la tradition de l'Age du Bronze avec 2 vergues parallèles se soit poursuivi.
La double vergue est le moyen le plus simple d'obtenir une grande surface de toile, le mat étant condamné à rester court pour des raisons de stabilité. Celui-ci est démontable. L'Odyssée nous apprend que le cordages utilisés pour cette manoeuvre s'appelaient protonoi, littéralement "les cordages d'avant". Ils ne servaient par seulement à rabattre le mât ou à le mettre en place, mais aussi à le maintenir : au cours d'une tempête le vent brise les 2 protonoi ce qui a pour effet de faire écrouler immédiatement la mât vers l'arrière(9).

 

Armement

Thucydide qui apprécie la belle manière de combattre des trières du Ve s. employant l'éperon, notamment celle de Naupacte en 429 que remporta l'Athénien Phormion(10), expose avec mépris les modalités du combat à l'ancienne qui doit correspondre à l'époque géométrique.
On y combattait peu ou pas à l'éperon, mais davantage entre soldats, comme à terre, et comme le feront les romains pendant la Premièr Guerre Punique : "A la bataille de 433, à proximité des îles Sybota, entre les flottes des Corinthiens alliés aux Mégariens contre Corcyre, " des deux côtés les ponts étaient couverts d'hoplites, d'archers et de gens armés de javelots, disposés suivant l'ancienne façon de combattre maladroitement. On se battait avec plus de vigueur que d'habileté. La plupart du temps on aurait dit un combat sur terre... on attendait la victoire procipalement des hoplites rangés sur les ponts; au cours du combat les vaisseaux restaient immobilisés"(11).
La proue du navire de Khaniale Tekke comportant 2 proembola, celle du navire représenté sur l'oenochoé proto-corinthienne du Musée de Berlin en comportant un également, il est évident que l'utilisation de l'éperon comme arme offensive a débuté à la période géométrique. On ne trouve cependant pas de proemlon sur les navires athéniens.

Aux îles Sybota les trières engagées étaient pourvue d'un pont, ce qui n'était pas le cas à l'époque géométrique. Pline rapporte quavant l'invention des vaisseaux longs pontés inventés pas les Thessaliens, on se battait à la proue et à la poupe(12). On en trouve cependant aucune trace avant le VII ou le VIe s., alors que les phéniciens disposent des ponts depuis 700 environs.

Les châteaux d'avant et d'arrière ne sont donc pas uniquement des abris de navigationmais des retranchements de combat. La lance ét le javelot étaient les armes principales des hoplites. Ils employaient également l'arc et l'épée. Si les boucliers ne sont pas rares, une seule fibule représente cependant une rangée de boucliers fixés le long du bord à la manière des galères phéniciennes. Elle est également l'unique représentation du nid de pie.

 

Ornements

La corne de proue est totalement inconnue à l'Age du Bronze. Elle surgit brusquement vers 900 dans toutes les régions. Les formes varient d'un navire à l'autre. En Béotie elles se terminent par une sorte de boite. Elle disparaît à la fin de la période.

L'avant des navires athéniens est le plus souvent orné d'un cercle entourant une étoile dont le nombre de branches varie de 8 à 16. mais il ne s'agit pas d'un oculus, sauf sur l'oenochoé proto-corinthienne, sur un tesson du Céramique et sur la dière de Toronto.

L'ornement de poupe est d'un extrème simplicité : une simple et ample courbe dirigée vers l'avant. En Béotie il se termine cependant encore une fois par une boite. Un volatile orne cependant la poupe du bandeau d'or du Céramique.

 

Les rames

La forme de la rame est primordiale pour la propulsion. A l'époque géométrique elles sont toutes triangulaires. Sur la dière de Toronto elles sont cependant lancéolées. Sur un document proto-attique de Phalère le peintre a pris soin de dessiner une pale d'une forme sophistiquée. Comme on est là à l'époque d'une nouveauté, l'apparition de la dière, il peut s'agir d'une recherche d'efficacité pour ces nouveaux vaisseaux.

 

La marine grecque archaïque

(1) : D.L. Page, History and Homeric illiad, Berkeley, Los Angeles, 1959, P. 152; R. Hope Simpson et J.F. Lazemby, The Catalog of Ships in Homer's Iliad, Oxford, 1970, p.168.
(2) : Odyssée, IX, 98-99, XIII, 20-22.
(3) : Hérodote, livre I, 163.
(4) : Hérodote, livre I, 164.
(5) : Pline, VII,57.
(6) : Pollux, I, 2.
(7) : L. Casson, Odysseus boat, American Journal of Philology, 85, p. 61-64.
(8) : L. Casson, Sewn boat, Classical Review, N.S., 13, p. 257-259.
(9) : Odyssée, IX, 409-410.
(10) : Thucydide, I, 83-84.
(11) : Thucydide, I, 49.
(12) : Pline, VII, 57: tectas longas (naves invenere) Thasii: antea ex prora tantum et puppi pugnabatur.