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L'Album de la corporation des Fabri navales
(charpentiers de marine)
d'Ostie et/ou du Portus
Quatrième partie
L'origine sociale et géographique des membres de la corporation
L'étude onomastique de l'album du CIL XIV, 256 permet de tenter d'établir, avec plus ou moins de précision, d'une part l'origine sociale des charpentiers navals de cette corporation, et d'autre part leur origine géographique afin de mieux connaître cette catégorie du personnel des ports romains sous l'Empire.
1. Origine sociale des fabri navales du Corpus fabrum navalium .
a. D'après la hiérarchie interne de la corporation .
Tout d'abord, une remarque sur le nombre de membres que recense l'album: selon J. Rougé (Recherches ... p. 296-297), "on ne peut pas penser" que les 353 membres qui y figurent "représentent tous ceux qui travaillent sur les chantiers de construction navale d'Ostie et du Portus" (il y en a en réalité beaucoup plus, vue l'importance de ces deux sites portuaires à l'époque).
Ainsi, toujours selon lui, "on doit donc admettre que la corporation groupe tout à la fois les [chefs] d'entreprises [de construction navale] ainsi que les chefs de chantier voire les contremaîtres et les ouvriers les plus qualifiés". Par conséquent, n'apparaissent pas dans cet album le grand nombre de manoeuvres qui travaillaient eux aussi à la construction des navires, "car ils sont de trop humble condition pour faire partie du collège": esclaves, affranchis de basse condition. Cet album ne présente donc qu'une portion très réduite, à vrai dire l'élite, des charpentiers navals: il faudra par conséquent en tenir compte dans toutes les conclusions qui vont suivre et ne pas les généraliser à l'excès à l'ensemble des ouvriers de la construction navale du site concerné.
Nous avons déjà décrit l'organisation interne de l'album, les différentes dignités qui y étaient citées et les charges liées à ces fonctions. Nous avons fait remarquer que seuls des gens fortunés pouvaient les assumer et que c'était pour cette raison qu'ils étaient parfois choisis en dehors du collège quand celui-ci ne comptait pas assez de membres suffisamment riches: c'est le cas, comme nous l'avons vu, dans ce collège puisque seulement dix (un quinquennal perpétuel, trois quinquennaux, six honorati, cf. supra) des trente-trois dignitaires et anciens digniraires (soit 30 %) sont issus du métier. De plus, parmi la plèbe collégiale, seules trois personnes semblent avoir été assez riches pour être honorées l'une d'une dignité (l'aediti(mus), l. 179) et les deux autres de privilèges honorifiques (un sesquiplic(arius), l. 141, et un immun(is), l. 159) 1. Il semblerait donc qu'une très faible part des gens de l'album, qui, rappelons-le, constituent l'élite des fabri navales d'Ostie et/ou du Portus, aient eu un niveau de richesse suffisamment important pour briguer les honneurs du cursushonorum du corpus ou les privilèges honorifiques collégiaux: par conséquent, on peut supposer que ces charpentiers navals avaient en grande majorité une situation sociale modeste en regard de leurs biens matériels. Le cursus honorum ou les privilèges honorifiques du collège étaient ainsi pour les douze privilégiés ayant pu bénéficier d'une promotion sociale essentiellement basée sur la réussité économique (grâce peut-être au commerce, comme l'atteste probablement le nom théophore évocateur d'un de ces dignitaires: Manlius Mercurialis)2 le moyen d'accéder à une honorabilité fondée sur l'évergétisme, à l'image de ce qui se passait dans les cités avec par exemple les sévirs augustaux 3.
Cette situation économique modeste commune à la quasi-totalité des membres de cette corporation nous est confirmée par le statut juridique de ces gens, c'est-à-dire leur place dans la société et leur origine sociale mis en évidence par l'analyse onomastique de la liste collégiale.
b. D'après les noms des membres de la corporation .
Des descendants d'affranchis et de pérégrins devenus citoyens.
Si l'on examine en détail le contenu de l'album, on remarque le très grand nombre de gentilices de familles romaines: il y a en tout 62 gentilices différents, portés par 215 personnes, soit 61 % des gens cités dans cette liste matriculaire (on peut ajouter à ces gentilices portés en tant que tels par les membres du corpus les gentilices romains ou les dérivés de gentilices romains portés en tant que cognomina, ce qui monterait ces chiffres à 63 gentilices différents portés par 243 fabri navales, soit 69 % des membres; si l'on rattache à ces personnes celles qui ont pour surnom le cognomen d'une gens romaine, ce sont 250 personnes au total qui ont une relation onomastique avec des gentes romaines, soit 71 % des hommes cités par l'album), dont sept gentilices impériaux portés par 76 personnes, soit 21,5 % du nombre total des membres cités (si on compte parmi ces gentilices impériaux les gentilices impériaux ou dérivés de gentilices impériaux portés comme cognomina, on obtient 80 et 22,6 %)4. Ces personnages semblent donc avoir eu un lien évident avec des familles romaines et impériales. D'après ce que l'on connait de l'onomastique, on peut dire que ce lien a pu être de deux ordres:
Soit ces gens ont été des esclaves ayant appartenu à l'une de ces familles:
lors de leur affranchissement, ils ont alors pris le gentilice de leurs anciens
maîtres et ont conservé comme cognomen leur nom d'esclaves: on le voit d'ailleurs
en étudiant les cognomina de l'album, dont un grand nombre trahissent une origine
servile : des noms comme Dexter (l. 76), Sterceius (l. 77, l. 98 et 320), Agilis
(l. 119), Verna (l. 125 et 276), Efficax (l. 151), Adzemius (l. 165),... ont
probablement été donnés par des maîtres à leurs esclaves pour marquer un trait
particulier de leur personnalité ou de leur fonction et sont restés à l'affranchi;
de plus, une grande partie de ces cognomina (28 %) sont d'origine gréco-orientale,
et l'on sait l'engouement des maîtres à donner un nom de ce type à leurs esclaves,
même si ceux-ci n'étaient pas originaires de cette partie de l'Empire. Il est
donc fort probable qu'un très grand nombre des personnes citées dans l'album
soient des affranchis ou des descendants d'affranchis ayant acquis en majorité
la citoyenneté: on sait en effet que les collèges étaient composés quasi entièrement
de citoyens 5.
Soit ces personnes sont des pérégrins (on sait le nombre important de ces gens
dans tous les ports de l'Empire) ayant obtenu la citoyenneté romaine, ou des
descendants de pérégrins devenus citoyens : ils ont pris le gentilice de l'empereur
qui leur a accordé ce privilège (ce qui expliquerait en partie le grand nombre
de gentilices impériaux présents dans l'album) ou du haut-fonctionnaire qui
les a appuyés pour l'obtenir, tout en gardant leur cognomen étranger (ce qui
expliquerait aussi en partie le grand nombre de surnoms gréco-orientaux) .
Des non-citoyens .
Des pérégrins. Si la majorité des membres de ce collège sont très probablement
des citoyens, trois au moins ne le sont assurément pas: en effet, Dessau, dans
sa note au CIL XIV, 256, dénombre trois pérégrins dans cet album, dont un probable.
Deux ont un nom composé d'un cognomen unique d'origine manifestement gréco orientale
et d'une filiation: Arion Amoni fil(ius) (l. 148), Chrysippus Ptolomei (l. 185).
Le troisième est Socrates Zoillus ? (l. 294)6 . Ils
n'occupent pas de dignité dans le collège.
Les autres. Hormis ces trois pérégrins, on dénombre six autres membres qui ne
sont très probablement pas citoyens: cinq qui ont un double cognomen et pas
de gentilice (l. 59: Geminus Victorinus; l. 68: Pyrenicus Magnion; l. 69: Bolustus
Maximus; l. 85 Concessus Felix; l. 242: Xinnus Apollinaris), et un seul qui
a un praenomen et un cognomen mais pas de gentilice (Lucius Varro, l. 313).
Ces neuf personnages non citoyens, apparemment les seuls de cette corporation, ont-ils été acceptés au sein du corpus pour leurs mérites, leur richesse ? En tout cas, pour des gens à la recherche d'un moyen d'intégration, l'appartenance à un collège si important était un premier pas considérable vers la reconnaissance sociale et, à plus long terme, la citoyenneté.
2. Origine géographique des fabri navales du Corpus fabrum navalium.
S'il est encore acceptable de se servir de l'onomastique pour tenter de déterminer l'origine sociale d'un homme antique, les avis des historiens deviennent beaucoup plus partagés lorsqu'il s'agit de faire la même chose pour l'origine géographique. Certains sont ainsi très réticents sur ce point. C'est le cas de M. Mikhailov, au sujet justement de l'onomastique à Ostie: pour lui, le nom ne suffit en aucun cas pour déterminer l'origine géographique d'une personne 7.
Pourtant , d'autres, comme J. Rougé 8, adoptent une position plus nuancée et moins catégorique: ce dernier, qui entreprend une courte étude onomastique du matériel épigraphique retrouvé dans différents ports impériaux, et particulièrement celui d'Ostie, récapitule avec raison les limites de cette science pour l'époque ancienne. Il rappelle ainsi que lorsque l'on essaye de déduire une origine géographique du nom porté par un esclave ou un affranchi, la présence d'un cognomen gréco-oriental ne détermine pas forcément l'origine orientale de cette personne: nous avons déjà rappelé l'attitude des maîtres qui aimaient à donner des noms de ce type à leurs esclaves. Cependant, toujours selon J. Rougé, ce phénomène de mode est bien "la preuve d'un certain snobisme de la part des propriétaires d'esclaves, snobisme qui ne peut s'expliquer que du fait du grand nombre d'esclaves [et par conséquent] d'affranchis d'origine orientale" dans la partie occidentale de l'Empire. D'autre part, il ajoute que puisque les ports d'Occident sont "largement ouverts aux apports [de personnes venues] de l'Orient, il nous semble que nous sommes en droit de considérer que, lorsqu'il s'agit des travailleurs portuaires [...], nous pouvons accorder confiance à l'onomastique".
Sur ces deux points positifs définis par Rougé, nous accorderons donc nous aussi une certaine confiance - qui restera néanmoins limitée afin de ne pas choquer les adversaires de ce type de méthode d'investigation - à l'étude de l'origine linguistique des noms de cet album pour tenter de déterminer l'origine géographique des fabri navales d'Ostie et/ou du Portus à la fin du IIe s. ap. J.-C.: nous avons récapitulé les différentes indications sur l'origine géographique des cognomen de l'album du CIL XIV, 256 dans un tableau que le lecteur trouvera supra, agrémenté de listes et de tableaux statistiques complémentaires. Ces renseignements sont non seulement loin d'être exhaustifs, mais ils sont aussi tous plus ou moins sujets à discussion de la part des spécialistes. Ce tableau est par conséquent à prendre avec toutes les réserves précédemment émises .
a. Une catégorie à part : les noms donnant une indication géographique
Il faut dès maintenant mettre à part une catégorie bien particulière de noms cités dans cet album: certains d'entre eux évoquent en effet un lieu géographique (ville, île, région, ...) ou un peuple très précisément situé dans l'Empire. Ils sont au total 17 dont trois probables, portés par 19 personnes. Seulement deux sont des gentilices, les autres étant des cognomen.
En voici la liste:
Caricus | ( l. 15 ) | "de Carie" , province d'Asie Mineure |
Celadus ? | ( l. 355 ) | Rivière de Tarraconnaise ? |
Corinthus | ( l. 149 ) | "Corinthe" |
Dorion | ( l. 318 ) | "Dorien" |
Egnatius | ( l. 323 ) | de "Egnatia" , ville d'Apulie |
Inacus ? | ( l. 347 ) | Inachus, fleuve d'Argolide |
Malius | ( l. 111 ) | "du golfe maliaque" , en face de l'Eubée . C'est un gentilice |
Maranus ? | ( l. 353 ) | Marane , ville d'Arabie Heureuse ? |
Maro | ( l. 147 ) | Colline de Sicile |
Naevanius | ( l. 94 ) | Naeva , ville de Bétique |
Portensis | ( l. 4 ) | "du Portus" |
Portesius | ( l. 355 ) | Portus |
Puteolanus | ( l. 188 ) | "de Pouzzoles" |
Pyrenicus | ( l. 68 ) | "pyrénéen" |
Romanus | ( l. 3-93-172 ) | "de Rome , romain" |
Sidonius | ( l. 339 ) | "Sidonien , Tyrien" ; c'est un gentilice |
Tuscus | ( l. 316 ) | "Etrusque" |
Sept de ces noms mentionnent des lieux situés en Grèce ou en Orient, six autres des endroits situés en Italie, trois des lieux situés en Espagne, un autre une colline de Sicile. On est très tenté de déduire de ces noms éloquents l'origine géographique de ces membres du collège: ces gentilices et cognomen peuvent très bien faire référence à l'endroit où sont nés ou ont travaillé et résidé dans leur vie ces personnages, ou leurs ancêtres (dans le cas des gentilices) . Dans quelle mesure peut-on leur "faire confiance" ? En tout cas, ces noms sont ceux qui prêtent le moins à confusion dans cet album.
b. Des noms d'origine latine
On constate, en examinant attentivement l'album du CIL XIV, 256, que les cognomen probablement originaires de la péninsule italienne sont largement majoritaires: 138 membres (soit 39,1 % des 353 fabri navales de l'album; cf. tableau statistique de l'annexe 4 ) portent un nom d'origine italienne 9. Douze des 33 dignitaires de la corporation ont un surnom latin. Bien sûr, il nous est impossible d'affirmer que les gens qui portaient un surnom de ce type étaient effectivement d'origine latine; en effet, on sait que de nombreuses familles d'affranchis préféraient donner un nom latin à leur progéniture afin de favoriser leur intégration, effaçant ainsi de génération en génération l'empreinte servile d'un nom gréco-oriental 10.
Les pérégrins faisaient d'ailleurs de même: M. Russu11 fait ainsi remarquer que les noms étrangers ne se transmettent pas de génération en génération, le changement de cognomen étant le signe de la romanisation .
c. Des noms d'origine africaine ?
On observe dans cet album des noms d'origine linguistique latine de plusieurs types particuliers:
Tout d'abord, certains cognomen ont la forme de participes présents ou passés:
Crescens (l. 24, 64, 82, 264), Restutus (l. 50), Optatus (l. 176), Rogatus (l.
180, 298), Donatus (l. 300), Sucessus (l. 45, 135, 214, 216, 253, 291), Impetratus
(l. 92), Adauctus (l. 174,192,348).
D'autre part, certains surnoms ont été allongés par un suffixe en -inus ou en
-ianus:
Rogatianus (l. 48, 89), Crescentianus (l. 154), Marcellinus (l. 8, 20, 139,
173), Cosmianus (l. 39), Iulianus (l. 62, 153, 157, 231), Rufinus (l. 96, 255,
288, 305), Antonianus (l. 134), Venerianus (l. 166), Marianus (l. 181), Porcianus
(l. 198), Marcianus (l. 207, 244, 248, 268), Valerianus (l. 212, 273), Secundinus
(l. 335).
Enfin, on remarque des cognomen théophores ou exprimant une idée de "bonne étoile",
de protection divine dont bénéficieraient les personnes les portant (N.B.: nous
excluons ici les surnoms théophores à consonance nettement gréco orientale,
qui seront exploités plus loin): Fortunatus/Fortunatianus (on peut classer ce
dernier aussi parmi les noms allongés; l. 1, 36, 145, 163, 177, 186, 251, 295),
Felix (l. 13, 30, 37, 50, 55, 60, 66, 82, 85, 86, 116, 118, 140, 144, 199, 217,
232, 233, 237, 238, 245, 260, 263, 271, 299, 309, 327, 328: ce surnom est de
loin le plus répandu dans cet album), Victor/ Bictor/ Victorinus ? (on peut
classer ce dernier aussi parmi les noms allongés; l. 18, 59, 80, 102, 132, 159,
195, 200, 215, 243, 250, 306, 322, 350), Mercurius/ Mercurialis (l. 33, 169,
187, 213 ), Minervalis (l. 83), Saturninus (l. 42, 171, 183, 218, 235, 240,
292, 293, 311, 326).
Ces trois types particuliers de cognomen (au total, 107 noms soit 30,3 % des membres, dont neuf dignitaires et anciens dignitaires) sont très courants dans les provinces de l'Afrique et caractérisent en partie l'onomastique de ces régions de l'Empire 12: on est alors tenté de supposer qu'une partie des propriétaires de ces surnoms sont originaires d'Afrique.
Cependant, il convient de prendre ces caractéristiques onomastiques avec la plus grande réserve, comme le fait remarquer N. Duval qui pense que ne doivent pas être abusivement considérés comme africains des surnoms comme Felix, ou ceux formés comme des participes passés: en effet, ces types de noms se retrouvent partout dans l'Empire en plus ou moins grande quantité, et ne peuvent donc être tous d'origine africaine (c'est pour cette raison que, dans notre tableau récapitulatif de l'album, la réserve que nous exprimons ici sur l'origine africaine de certains cognomen est exprimée par un point d'interrogation), surtout sous le Haut Empire, époque où a justement été publié cet album 13. Il en va de même des noms théophores, très répandus dans tout le monde romain (il faut toutefois mettre ici à part le cas de Saturninus dont l'origine africaine est très probable car le culte de Saturne était très développé en Afrique où il a remplacé celui de Baal). On peut donc seulement dire que, vu l'ouverture des sites d'Ostie et du Portus à l'Afrique (n'oublions pas que c'est dans ce port qu'était réceptionné le blé annonaire d'Egypte), il est possible qu'une partie, dont nous ne pouvons préciser l'importance, des membres portant ces noms soient effectivement originaires des provinces africaines .
d. Des noms d'origine hispanique et celtique ?
Seulement trois cognomen de cet album (portés par trois personnes, soit 0,9% des membres; aucun dignitaire ne porte un surnom de ce type) sont probablement d'origine hispanique ou celtique: Magnion ? (l. 68; celtique), Naevanius ? (l. 94, hispanique), Celadus (l. 358; hispanique). Les deux noms d'origine hispanique sont des surnoms "géographiques" déjà cités précédemment. Il n'en va pas de même pour le seul nom présumé celtique, dont l'origine reste douteuse; nous émettons donc là encore toutes les réserves possibles: s'il y a de fortes chances que les noms "géographiques" soient réellement révélateurs de l'origine de ceux qui les portent, les autres sont à interprêter avec prudence.
e. Les noms d'origine gréco-orientale
Les cognomen gréco,orientaux sont, de par le nombre, le troisième groupe de noms dans cet album: 99 noms, soit 28 % des membres (dont douze dignitaires et anciens dignitaires). On peut supposer qu'en dehors de cette élite des fabri navales, la proportion d'ouvriers charpentiers navals de basse condition et d'origine gréco,orientale sur les chantiers de construction navale devait être au moins aussi importante, et probablement supérieure.
En effet, d'après J. Rougé 14, "les études faites à partir des inscriptions permettent de conclure que, pour les ports situés au Sud de la Plaine du Pô, le pourcentage de noms gréco,orientaux [...] se situe légèrement au,dessus de 50 %". Bien sûr, ces 99 surnoms ne reflètent certainement pas dans tous les cas une origine grecque ou orientale certaine (même si un nombre non négligeable de ces noms sont ceux de dieux typiquement gréco,orientaux 15), vu que bon nombre de ces membres sont très probablement, comme nous l'avons déjà fait remarquer, des affranchis ou des descendants d'affranchis, et qu'ils ont donc hérité d'un cognomen servile dont la consonance est, comme nous l'avons précédemment rappelé, loin d'être infaillible pour déterminer l'origine géographique des gens (cf. le phénomène de mode des noms gréco,orientaux chez les possesseurs d'esclaves évoqué supra). Cependant, étant donné que nous sommes à Ostie et au Portus dans un complexe portuaire très ouvert au trafic commercial entre l'Orient et l'Occident, on peut supposer qu'une partie non négligeable de ces membres sont, malgré leurs origines serviles, véritablement originaires de ces régions de l'Est de l'Empire.
1 . Sur ces trois personnes, cf. supra .
2 . Cela a peut-être été le cas aussi de certains autres membres portant également
des noms évoquant le commerce:
Hermes/Hermia/Hermadion (l. 168-160-26), Mercator (l. 11-246-278), Mercurialis
(l. 33-213), Mercurius (l. 169-187), Viator (l. 194). Mais aucun de ces autres
personnages n'a été revêtu d'une dignité au sein du collège .
3 . Il faut noter cependant que les fabri navales étaient loin d'être parmi
les plus pauvres travailleurs des ports; l'Edit du Maximum (301) de Dioclétien
(VII, 13) nous apprend en effet que le salaire légal de l'ouvrier charpentier
était un des plus élevés: avec 60 deniers nourri par jour, il se situait au
troisième rang après les peintres de chevalet et les peintres décorateurs (cité
par J. Rougé, La marine dans l'Antiquité, Paris, 1975, p. 33)
4 . Pour tous les détails concernant ces calculs, voir notre troisième partie
supra .
5 . Waltzing, t. 1, p. 441: " les collèges [...] étaient composés de citoyens
"; A. Licordari, Considerazioni sull'onomastica ostiense, L'onomastique latine,
Paris, 1977, p. 240: Les corporations d'Ostie sont ouvertes aux seuls citoyens
.
6 . D'après A. Licordari, op. cit., p. 240, cette corporation semble être la
seule à Ostie qui accepte des pérégrins en son sein
7 . M. Mikhailov , dans A. Licordari , op. cit., p. 245 .
8 . J. Rougé, Recherches ... , p. 298-299 .
9 . A noter parmi eux trois noms gentilices uniques accompagnés d'une filiation
(Iunius Marcellini, l. 20; Servilius Bervi, l. 332; Antonius Bervi, l. 333),
les seuls tria nomina de l'album (L Volusius Secularis Amato, l. 34), et deux
doubles gentilices (Cl. Aurelius Efficax, l. 151; Cl. Aurelius Iambicus, l.
152) .
10 . A. Licordari, p. 240 .
11 . M. Russu, dans A. Licordari, p. 245 .
12 . H.G. Pflaum, Spécificité de l'onomastique romaine en Afrique du Nord, L'onomastique
latine, op. cit., p. 318; A. Chastagnol, L'onomastique de Timgad, L'onomastique
latine, op. cit. p. 330 et 333.
13 . N. Duval, dans A. Licordari, op. cit., p. 245 .
14 . J. Rougé , Recherches ..., p. 302. Il cite ici H. Thylander, Etudes sur
l'épigraphie latine, Acta instituti regni Sueciae, series in 8°, V, Lund, 1952,
chap. III, Les noms et l'origine des personnes.
15 . Vingt en tout: Afrodisius (l. 70), Amon (l. 148), Apollinaris (l. 142-242),
Artemidorus/rius (l. 28-40), Asclepius / Asclepiades / Asclepiodotus (l. 178-230-279),
Dionysius (l. 47-162-222-228), Epafroditus (l. 7-56), Eros (l. 184), Heliodorus
(l. 128 ), Heraclida ( l. 16 ), Hermadion (l. 26), Hermes (l. 168), Hermia (l.
160), Hieron ( l. 130), Serapio (l. 46) Teofilus (l. 124), Theodorus (l. 236).
Ces noms théophores étaient très courants dans tout l'Empire, avec des variantes
régionales (exemple: Afrodisius, cité ci-dessus, est la variante latinisée du
nom grec Afrodita).L'Album de la corporation des Fabri navales d'Ostie et/ou
du Portus
Gilles Brule